[ March 4, 2021 0 Comments ]

[Interview] Khadija BOUJANOUI-Directrice financière et du contrôle de gestion de 2M, Présidente du Comité Parité et Diversité 2M- Evolution des stratégies financières dans le secteur audiovisuel face aux conséquences de la crise.

1/ Au Maroc, comme partout dans le monde, les stratégies financières jouent un rôle prépondérant pour assurer le bon fonctionnement et la survie des organisations. Selon vous, quels sont les critères pour définir une stratégie financière pertinente au sein d’une société?

Toute entreprise doit avoir une stratégie financière efficiente lui permettant d’atteindre ses objectifs et de réaliser son équilibre financier à court, moyen et long terme. L’objectif étant bien évidemment d’optimiser les performances de l’organisation en prenant en considération l’ensemble des contraintes et paramètres existants ou probables. Et afin qu’elle soit pertinente, et surtout efficace, toute stratégie financière doit faire en sorte que le modèle économique de l’entreprise soit suffisant pour assurer sa survie et lui permettre de réaliser du profit. Puis quand le « business model » est suffisamment mature, il est nécessaire de mettre en place les outils de financement adéquats qui permettent d’améliorer l’offre et d’accroître la rentabilité, et ce en parallèle d’une bonne stratégie commerciale. Mais il est toujours intéressant d’optimiser la rentabilité de l’entreprise pour avoir une plus grande autonomie financière, notamment sur le long terme.

2/ Parlez-nous de l’information financière au Maroc…

L’information financière représente la « radioscopie de l’entreprise ». Elle est très importante car elle permet de collecter et d’analyser l’ensemble des données qui traduisent l’état de santé d’une organisation à un moment précis. Lesdites données aiguillent les décisions de gestion des dirigeants, et leur permettent de mesurer la performance de l’entreprise.  Elles permettent également à l’administration fiscale de suivre et calculer les taxes et les impôts. Notre pays mène d’ailleurs une véritable réflexion sur la qualité de l’information financière, notamment à travers les efforts déployés par la Bourse des valeurs de Casablanca (BVC), l’Autorité marocaine des marchés des capitaux (AMMC), ou encore l’Association marocaine des consolideurs financiers (AMCF). De nombreuses réformes ont eu lieu depuis 2013 afin d’améliorer la pratique de communication financière par les émetteurs. En guise d’exemple, l’obligation de communiquer les informations financières importantes en toute transparence pour toute personne souhaitant faire un appel public à l’épargne, ou encore l’obligation de la publication trimestrielle… Des mesures qui ont d’ailleurs porté leurs fruits, puisqu’il a été observé que l’information financière est devenue plus exhaustive, que les investisseurs ont davantage confiance et que le marché bénéficie d’une plus grande visibilité.

3/ Dû à la crise du Covid-19, plusieurs organisations ont vu nécessaire de repenser leurs stratégies et optimiser leurs budgets d’investissements. Qu’en pensez-vous?

La crise provoquée par la Covid-19 est considérée comme la récession la plus profonde depuis la seconde guerre mondiale. Par conséquent, les entreprises se sont retrouvées obligées de procéder à des coupes budgétaires et de prévoir des plans d’économie incluant, entre autres, un gel des recrutements. Des mesures nécessaires car, au-delà de ses répercussions sur les revenus, la pandémie a fortement impacté la visibilité à court, moyen et long terme. Il est donc devenu difficile d’évaluer la rentabilité d’un projet et son intérêt auprès des consommateurs dont les habitudes de consommation ont désormais changé. La plupart des projets d’investissements ont alors été reportés au moins à N+1, en particulier les investissements qui ne sont pas jugés « de survie ». Ceci dit, les entreprises ne sont pas logées à la même enseigne. Les sociétés de IT ont vu leur activité s’accroître. C’est dire si la pandémie a joué un rôle d’accélérateur des tendances déjà à l’œuvre avant la crise. Quoiqu’il en soit, la dynamique des investissements doit être stimulée très rapidement au risque d’entraver et de retarder encore plus la relance économique. Une raison qui a d’ailleurs poussé le gouvernement marocain à adopter certaines mesures comme l’aide d’urgence pour préserver l’accès au crédit des petites et moyennes entreprises (PME) et aux auto-entrepreneurs ; la création d’un fonds d’urgence pour aider les entreprises à faire face à leurs besoins de trésorerie et de fonds de roulement ; la mise en place d’un fonds d’investissement en soutien à la relance ; ou encore l’entrée en vigueur de la loi sur le Crowdfunding pour soutenir les projets de proximité dans les régions.

4/ Comment le secteur de l’audiovisuel a pu faire face aux répercussions de cette crise en termes de dépenses et rationalisation des actions? 

Le secteur de l’audiovisuel a dû faire face à des défis sans précédent. Les tournages qui étaient en cours ont dû être interrompus pendant le confinement, mais ont repris l’été suivant. Les mesures sanitaires ont certes été contraignantes, mais les équipes de tournage ont su s’adapter aux nouveaux modes opératoires. Le secteur de la publicité a également été impacté. Et pour cause, la plupart des annonceurs ont été contraints de réduire drastiquement leurs budgets d’investissement publicitaire, ou pire, les annuler.

À titre indicatif, le marché publicitaire écran au Maroc a connu une baisse de 26% par rapport à l’année précédente.

Et pourtant, les audiences télévision ont cartonné durant le confinement en atteignant des niveaux record. Par ailleurs, les dépenses des différents acteurs du secteur audiovisuel ont connu une augmentation, à l’image des producteurs qui ont dû faire face à un surcoût estimé entre 10 et 15%  dû aux contraintes liées aux mesures sanitaires. Quant aux chaînes de télévision, il s’est avéré nécessaire d’adapter la grille des programmes en fonction de l’actualité dominante : les éditions spéciales, les capsules de sensibilisation, les programmes de divertissement pour faire face au besoin d’évasion, sans négliger la nouvelle logistique mise en place pour les émissions qui reçoivent le public. L’arrivée des vaccins laisse entrevoir une sortie de crise pour l’été 2021, mais ses effets sur l’écosystème audiovisuel sont encore difficiles à estimer, notamment pour les plus petites structures et les auteurs. C’est donc tout le tissu des PME de l’audiovisuel qui doit tenir bon jusqu’à la sortie de la crise car ces entreprises ne disposent généralement pas des réserves de trésorerie qui permettent d’amortir le choc. Elles peuvent par contre s’appuyer sur plusieurs dispositifs d’aide initiés ou renforcés par les pouvoirs publics.

5/ Avez-vous des axes d’amélioration financiers à proposer pour délimiter ces conséquences et relancer le marché? 

Pour une relance du marché économique post-Covid, il faut passer par une relance vigoureuse de l’activité économique et de l’emploi. Il serait aussi intéressant de revoir la politique commerciale du pays, notamment en substituant les produits d’import par une industrie locale à travers l’encouragement de la consommation des produits “Made in Morocco” auprès du consommateur marocain. Des incitations doivent également être mises en place pour encourager les grandes entreprises à collaborer davantage avec les TPME locales. L’exemple devra être donné par la commande publique avec la généralisation de la clause de la préférence nationale. Cette politique ne doit pas nous faire oublier l’importance de l’exportation. Une accélération de la montée en gamme au niveau de l’offre d’exportation ainsi qu’une diversification sectorielle de l’offre s’avère nécessaire. La ZLECAF est une opportunité unique à saisir. En outre, il est à mon sens nécessaire de renforcer les filets sociaux des Marocains, notamment en s’attelant sur la problématique de la couverture sociale, en instaurant un revenu minimum de base pour les ménages vulnérables, en réformant l’école publique et le système de santé.